Bannir le pétrole russe? Attention à l’engrenage, dixit l’UDC


Au centre et à gauche, on serait prêts à suivre un embargo de l’UE. Les élus en font une question de principe, alors qu’à droite la retenue domine.

Un embargo sur le pétrole russe aurait un impact sur les prix de l’énergie.

À Bruxelles, la question n’est plus de savoir s’il faut ou non interdire le pétrole russe, mais de savoir comment et quand le couperet tombera. Un embargo progressif est sur la table de l’Union européenne. Il pourrait être annoncé ces prochains jours. Une nouvelle étape dans les sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine qui fait évidemment réagir en Suisse.

Jusqu’ici, Berne a repris la plupart des mesures de rétorsion visant à faire plier Moscou dans son invasion de l’Ukraine. Se passer du pétrole russe, sur le papier ça semble possible (voir encadré), puisque la Suisse n’importe pratiquement pas de brut russe. Mais les conséquences en cascade sur le prix des énergies ou l’impact sur Genève, une des principales places de négoce du pétrole russe, rendent la question plus délicate.

Lisa Mazzone (Verts/GE)

«Ne pas flancher»

Pour Lisa Mazzone (Verts/GE) ce n’est pas le moment de flancher. «La Suisse doit continuer de s’aligner sur l’UE. Ces sanctions ont un effet. Elles montrent aussi que nous ne transigeons pas lorsque la souveraineté d’un État indépendant est violée.» Si la sénatrice est consciente que son canton occupe une place centrale dans le négoce du pétrole, elle rappelle aussi que la Genève internationale est tributaire du droit international. «Il faut être conséquent avec nos valeurs et assécher le trésor de guerre russe.»

«Se détourner de l’UE aujourd’hui enverrait le message d’une compromission vis-à-vis de la Russie.»Lisa Mazzone (Verts/GE)

Pour Lisa Mazzone, la Suisse doit donc choisir comme alliés les États qui défendent ce droit international. «Se détourner de l’UE aujourd’hui enverrait le message d’une compromission vis-à-vis de la Russie.»

Ce que représente le pétrole russe en Suisse

Moscou a beau être le troisième exportateur de pétrole au monde, la Suisse serait – à première vue – relativement épargnée en cas d’embargo. Et pour cause, selon Avenergy suisse (ndlr: anciennement l’Union pétrolière) la part de brut directement importée de Russie est négligeable dans notre pays. Elle est même «proche de zéro», expliquait début avril son responsable politique Ueli Bamert à AWP.

Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer le cas particulier de Cressier (NE), unique raffinerie du pays. Cette dernière couvre environ 25% du volume de tous les produits raffinés vendus au niveau national, selon les chiffres publiés sur le site de l’entreprise. Le brut y arrive par l’oléoduc directement du terminal maritime de Fos-sur-Mer dans le sud de la France. Et ici, pas de pétrole russe. L’an dernier, ce sont surtout le Nigeria, les États-Unis et la Libye qui ont approvisionné la raffinerie.

Un embargo serait-il indolore pour le pays? Les choses ne sont pas si simples. Voici pourquoi.

Si Cressier fournit un quart de la demande autochtone, les 75% restants sont couverts par des importations de produits finis – comme le diesel ou l’essence – qui proviennent principalement de l’UE, Allemagne et France en tête. Et comme l’UE importe entre un quart et un tiers de son pétrole brut de Moscou, il est tout à fait concevable qu’une part se retrouve dans les produits livrés à la Suisse. Si le chiffre exact n’est pas connu, Avenergy l’évalue à 10%.

Une interdiction du pétrole russe n’aurait donc pas un impact direct sur notre approvisionnement, d’autant plus que la Suisse dispose de réserves obligatoires permettant de tenir entre trois et quatre mois et demi selon les produits pétroliers, précise sur son site internet Carbura, l’organisation responsable. Toutefois, cet embargo aurait un impact sur la fluctuation des prix de l’énergie.

À noter enfin que se passer du pétrole russe serait de toute façon plus facile à gérer qu’un embargo sur le gaz. Dans ce domaine, notre pays est largement tributaire. En 2020, 47% du gaz importé venait de Russie.

Ce discours, il n’y a pas que la gauche qui le soutienne. Vincent Maitre (Centre/GE) partage pratiquement la même position. «On doit tous agir pour faire fléchir la Russie et mettre un terme à ce conflit. Lorsqu’on parle de l’invasion d’un pays démocratique et indépendant, on ne transige pas avec ses valeurs. Si on veut que les sanctions soient efficaces, il faut être prêt à sacrifier une partie de notre confort. Cela reste une bagatelle face aux centaines de milliers de vies qui sont en jeu.»

«Si on veut que les sanctions soient efficaces, il faut être prêt à sacrifier une partie de notre confort.»Vincent Maitre (Centre/GE)

Concernant Genève, il se dit prêt à écouter les acteurs directement concernés par les conséquences d’un tel embargo, mais il reste convaincu d’un principe: «Quand on prend des sanctions, il faut aller jusqu’au bout.»

Si Carlo Sommaruga (PS/GE) partage cette position de principe de s’appuyer sur les décisions de l’UE pour afficher une unité, il rappelle toutefois que la Suisse n’aurait sans doute pas la possibilité de faire autrement. «Concrètement, la Suisse ne pourrait pas contourner l’embargo. Il n’y a pas de pipeline qui arrive directement dans notre pays. Et je vois mal notre pays tenter de convaincre les ports de Rotterdam ou Gênes de laisser passer du pétrole russe pour qu’il arrive jusqu’en Suisse.»

Un effet domino

Mais toute la Coupole n’est pas à l’unisson. Au sein du PLR, on appelle à ne pas prendre de décision précipitée. «Ces nouvelles sanctions, si elles sont décidées par l’UE et que le Conseil fédéral décide d’emboîter le pas, auront un impact qu’on a encore du mal à évaluer, réagit Jacques Bourgeois (PLR/FR), qui préside la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie. Or, quand on parle de produit pétrolier, on parle de mobilité et de chauffage. Et donc de sécurité de l’approvisionnement du pays.»

«Il ne faudrait pas que ces sanctions nous affectent plus que la Russie.»Jacques Bourgeois (PLR/FR)

Si la Suisse n’est pas un importateur direct, le Fribourgeois craint un effet domino avec les pays de l’Europe qui sont eux directement dépendants du brut russe. Alors que l’essence est déjà à plus de 2 francs et que le prix du mazout a pris l’ascenseur, il s’inquiète pour la population. «Il ne faudrait pas que ces sanctions nous affectent plus que la Russie.»

Albert Rösti (UDC/BE)

À l’UDC, on va même un cran plus loin. Pour Albert Rösti (BE), ancien patron du parti et président de Swissoil, la Suisse ne doit pas suivre l’UE. «Le pétrole russe, on peut s’en passer. Par contre, si nous suivons l’Union européenne pour cet embargo, alors nous devrons suivre également lorsqu’il sera question du gaz. Et là, ça nous posera beaucoup plus de problèmes.»

«Si nous voulons avoir un rôle dans les négociations pour mettre fin à ce conflit, il faut que la Suisse arrête de copier l’UE et joue sa propre partition.»Albert Rösti (UDC/BE)

Sur le fond, le Bernois estime même que de ne pas reprendre cet embargo sur le pétrole permettrait à la Suisse de redorer sa neutralité. «Si nous voulons avoir un rôle dans les négociations pour mettre fin à ce conflit, il faut que la Suisse arrête de copier l’UE et joue sa propre partition.» Au lieu de continuer dans cette guerre économique, il appelle plutôt à augmenter l’aide humanitaire.

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